Survivre à l’échec

Le grand rabbin Lord Jonathan SacksBéréchit s’achève sur une sublime note de réconciliation entre Joseph et ses frères. Ceux-ci craignaient qu’il ne leur ait pas vraiment pardonné de l’avoir vendu comme esclave. Ils se disaient qu’il avait seulement retardé sa vengeance jusqu’à ce que leur père soit mort. Ainsi, après la mort de Jacob, ils exprimèrent leur crainte. Mais Joseph leur affirma :

« N’ayez pas peur. Suis-je à la place de D.ieu ? Vous aviez l’intention de me nuire, mais D.ieu en a fait du bien, afin que s’accomplisse ce qui arrive aujourd’hui, que de nombreuses vies soient sauvées. Donc, n’ayez pas peur. Je pourvoirai pour vous et vos enfants. » Et il les rassura et leur parla aimablement.1

Béréchit s’achève sur une sublime note de réconciliation

C’était la seconde fois qu’il leur parlait en ces termes. Il leur avait déjà parlé ainsi quand il leur révéla que lui, l’homme qu’ils pensaient être le vice-roi égyptien nommé Tsafnat-Paanea’h, n’était autre que leur frère Joseph :

« Je suis Joseph votre frère que vous avez vendu jusqu’en Égypte. Et maintenant, ne vous affligez pas, ne soyez pas irrités contre vous-mêmes de m’avoir vendu pour ce pays, car c’est pour sauver des vies que D.ieu m’a envoyé au-devant de vous. Car voici deux années que la famine sévit dans le pays et durant les cinq années à venir, il n’y aura ni labour ni moisson. Mais D.ieu m’a envoyé au-devant de vous pour vous préparer une survivance sur la terre et pour sauver vos vies dans une grande délivrance. Ainsi, ce n’est pas vous qui m’avez envoyé ici, mais D.ieu. »2

Ce fut là un moment décisif dans l’histoire de la foi. Il marque la naissance du pardon, de la première fois dans l’histoire écrite où une personne en pardonna une autre pour le mal qu’elle avait fait. Mais cet événement établit aussi un autre principe important : l’idée de la providence divine. L’histoire n’est pas ce que Joseph Heller a appelé « un sac poubelle plein de coïncidences fortuites jetées au vent ». Elle a un sens, un but, un scénario. D.ieu est à l’œuvre dans les coulisses. « Il est une divinité qui donne la forme à nos destinées, dit Hamlet, de quelque façon que nous les ébauchions. »

La grandeur de Joseph était qu’il avait senti cela. Rien dans sa vie, il en était désormais conscient, n’était arrivé par accident. Le complot visant à le tuer, sa vente comme esclave, les fausses accusations de la femme de Potiphar, son séjour en prison et son espoir déçu que le chef des échansons se souviendrait de lui et obtiendrait sa libération, tous ces événements qui auraient pu le jeter dans un désespoir toujours plus profond se révélèrent rétrospectivement avoir été les étapes nécessaires du cheminement qui l’amena à devenir le commandant en second de l’Égypte et la seule personne à même d’éviter à l’ensemble du pays – ainsi qu’à sa propre famille – de mourir de faim dans les années de famine.

Joseph possédait en abondance l’une des qualités nécessaires à un leader : la capacité à continuer malgré l’opposition, la jalousie, les fausses accusations et les échecs répétés.

Tout leader qui défend une cause se heurtera à une opposition

Tout leader qui défend une cause se heurtera à une opposition. Cela pourra être un véritable conflit d’intérêts. Un dirigeant élu sur la promesse de rendre la société plus équitable suscitera presque certainement le soutien des pauvres et l’opposition des riches. Un autre, élu pour réduire la pression fiscale, suscitera le contraire. Cela ne peut pas être évité. La politique sans conflits est une contradiction dans les termes.

Tout dirigeant élu à quelque fonction que ce soit, ou bien plus aimé ou plus doué que d’autres, suscitera de la jalousie. « Pourquoi lui et pas moi ? » diront les rivaux. C’est ce que se dit Kora’h face à Moïse et Aaron. C’est ce que les frères se dirent face à Joseph, quand ils virent que leur père l’aimait plus qu’eux. C’est ce que se dit Antonio Salieri face à un jeune Mozart plus talentueux que lui, d’après la pièce de Peter Shaffer, Amadeus.

En ce qui concerne les fausses accusations, elles n’ont pas manqué au cours de l’histoire. Jeanne d’Arc fut accusée d’hérésie et brûlée sur le bûcher. Un quart de siècle plus tard, elle fut déclaré innocente à titre posthume par une commission d’enquête officielle. Plus de vingt personnes furent mises à mort suite aux procès des sorcières de Salem en 1692-1693. Des années plus tard, lorsque leur innocence commençait à être admise, un prêtre présent au procès, John Hale, reconnut : « L’obscurité de ce temps-là était telle… que nous marchions dans le brouillard, et nous ne pouvions pas voir où nous allions. »3 La plus célèbre fausse accusation des temps modernes fut le procès d’Alfred Dreyfus, un officier français d’origine juive accusé d’être un espion allemand. L’affaire secoua la France pendant les années 1894-1906, avant que Dreyfus fût finalement acquitté.

Les échecs se retrouvent aussi dans la vie de ceux ayant le plus de succès. Le premier roman d’Harry Potter de J. K. Rowling fut rejeté par les douze premiers éditeurs à qui elle le soumit. Un autre auteur d’un livre sur les enfants essuya vingt et un refus. Le livre s’appelait Sa Majesté des mouches, et son auteur, William Golding, reçut finalement le prix Nobel de littérature.

Dans son célèbre discours à l’occasion de la cérémonie de remise des diplômes à l’université de Stanford, le regretté Steve Jobs raconta l’histoire des trois coups du sort qui ont façonné sa vie : avoir lâché ses études à l’université, avoir été renvoyé d’Apple, la société qu’il avait fondée, et avoir été diagnostiqué d’un cancer du pancréas. Plutôt que d’être terrassé par ces événements, il les mit tous à profit à des fins créatrices.

Pendant vingt-deux ans, j’ai vécu près d’Abbey Road, au nord de Londres, où un célèbre groupe de pop enregistra tous ses hits. Lors de leur première audition, ils jouèrent pour une maison de disques qui leur dit que les groupes de guitare étaient « sur le déclin ». Le verdict de leur performance (en janvier 1962) était : « Les Beatles n’ont pas d’avenir dans le show-business. »

Tout cela explique la réflexion remarquable de Winston Churchill qui déclara : « Le succès est la capacité d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme. »

Ce qui soutint Joseph fut sa perception de la providence divine

Il est possible que ce qui soutient les gens à travers des échecs répétés soit leur croyance en eux-mêmes, ou leur ténacité, ou l’absence d’alternatives. Ce qui soutint Joseph, cependant, fut sa perception de la providence divine. Un plan était en œuvre dont il ne pouvait que vaguement discerner l’aboutissement, mais, à un certain stade, il semble qu’il ait compris qu’il était l’un des personnages d’un drame beaucoup plus vaste, et que toutes les mauvaises choses qui lui étaient arrivées étaient nécessaires pour que l’objectif global soit atteint. Comme il le dit à ses frères : « Ce n’est pas vous qui m’avez envoyé ici, mais D.ieu. »

Cette disposition à laisser survenir les événements en conformité avec la Providence, cette conscience que nous sommes, au mieux, seulement les coauteurs de nos vies, permirent à Joseph de survivre sans ressentiment vis-à-vis du passé et sans désespoir face à l’avenir. Sa confiance en D.ieu lui procura une force immense, ce qu’il nous faudra à nous aussi si nous avons de l’ambition. Quel que soit le mal que d’autres personnes fomentent contre nous – et plus vous aurez de succès, plus de mal il y aura –, si nous sommes capables de dire : « Vous aviez l’intention de me nuire, mais D.ieu en a fait du bien », nous survivrons, avec notre force et notre énergie intactes.

 
 
NOTES

1.Genèse 50,19-21.

2.Genèse 45,3-8.

3.Cité dans Robert A. Divine, TH Breen, George M. Fredrickson et R. Hal Williams, America Past and Present, vol. 1 (Pearson, 2001), 94.

Menu