« Bar Yo’haï »

« Bar Yo’haï »

(Basé sur des propos prononcés par notre maitre le Rav Ovadia YOSSEF z.ts.l. le jour de Lag Baomer)

Ce soir (mercredi soir) est la nuit de Lag Baomer, le 33ème jour du ‘Omer. 

Le Piyout « Bar Yo’haï »
Le soir de Lag Baomer, tout le monde a l’usage de chanter le célèbre Piyout (poème liturgique) « Bar Yo’haï ».
Ce Piyout a été écrit par le Kabbaliste Rabbi Chim’on LAVI z.ts.l, qui est né en Espagne il y a plus de 500 ans, et s’est réfugié à Fez au Maroc, puis il a fait le vœu d’émigrer en Israël pour y finir ses jours. 

Pendant son voyage vers Israël, il passa par la ville de Tripoli en Lybie.
En arrivant dans cette ville, il constata que la communauté juive locale n’était pas très pratiquante, et elle comptait même de nombreuses personnes qui ne connaissaient absolument pas la Torah. Ils priaient durant le Chabbat les prières des jours de semaine etc…
Rabbi Chim’on LAVI prit donc la décision de rester dans cette ville en demandant à Hachem de lui pardonner la non-observance de son vœu – qu’il fit annuler selon les règles – puisqu’il considéra qu’il était une plus grande Mitsva d’ouvrir les yeux des juifs de Tripoli, plutôt que d’émigrer en Israël. 

En effet, il resta à Tripoli et enseigna beaucoup de Torah à la communauté juive, il restaura la couronne de la Torah dans son prestige.
Il rédigea le Piyout « Bar Yo’haï » en l’honneur du saint Tana Rabbi Chim’on Bar Yo’haï.
Rabbi Chim’on LAVI incéra les lettres de son nom entier au début de chaque strophe (acrostiches), comme on peut le constater:
« Chémen Mich’hatt Kodech … » La lettre Chin (ש),
« Mochav Tov Yachavta … » La lettre Mem (מ)
« ‘Atsé Chittim ‘Omedim … » La lettre ‘Aïn (ע)
« Vélisdé apou’him … » La lettre Vav (ו)
« Néézarta Bigvoura … » La lettre Noun (נ)
« Limkom Avné Chaïche » La lettre Lamed (ל)
« Békodech Hakodachim … » La lettre Beit (ב)
« Youd ‘Ho’hma Kédouma … » La lettre Youd (י)
« Or Mouflé Roum Ma’la …La lettre Alef (א)
La dernière strophe nous dit:
« Bar Yo’hai ! Heureuse celle qui t’a enfanté ! Heureux le peuple qui étudie tes paroles ! Heureux ceux qui maîtrisent tes secrets! »
Il s’agit bien de Rabbi Chim’on Bar Yo’haï qui était habitué à réaliser des miracles (voir Guémara Mé’ila 17a).
Il était l’un des 5 derniers élèves de Rabbi ‘Akiva, qui ont sauvé l’enseignement de la Torah dans le monde à leur époque.
Rabbi Chim’on Bar Yo’haï s’illustre particulièrement par les secrets de la Kabbala qu’il a transmis à ses élèves, et par le livre du Zohar Ha-Kadoch. 

Hachem a fait bénéficier ce Piyout d’une grâce particulière, au point où tout le monde le chante, même nos frères les Achkénazim.
En effet, quel Piyout Achkénazi est chanté chez les Achkénazim? C’est quelque chose de quasi inexistant!
Alors que le Piyout « Bar Yo’haï » est chanté par tout le monde, sans exception! 

A l’époque médiévale, vivait Rabbi Avraham IBN ‘EZRA.
Il était très critique et il faisait partie des grands poètes juifs d’Espagne.
A son époque, le grand de la génération dans le monde Achkénaze était Rabbenou TAM (petit-fils de Rachi).
Rabbenou TAM écrivit un Piyout et l’envoya de France en Espagne à Rabbi Avraham IBN ‘EZRA pour qu’il donne son avis sur le Piyout. 

Rabbi Avraham lui envoya sa réponse: (Le dialogue entre les 2 sages d’Israël a une consonance lyrique en hébreu qu’il est difficile de ressentir en français)
« Qui a mené un français dans la maison du chant, et comment un étranger a traversé un lieu saint et l’a piétiné? »
Explication de la réponse: Vous – en France et en Allemagne – possédez la compréhension du Talmud, pourquoi entrez-vous soudainement dans l’écriture de chansons? Le chant des juifs espagnoles est bien meilleur!
Rabbi Avraham IBN ‘EZRA poursuit et écrit encore à Rabbenou TAM:
« Quand bien même le chant de Ya’akov (Rabbenou TAM) serait doux comme la Mann, moi je suis le soleil, et mon soleil réchauffe et fait fondre (la Mann) ».
Il lui écrit encore: « Qu’as-tu à faire avec des chants construits (sur l’équilibre des syllabes)? Les chants Hodou et Ana te sont suffisants ».
Il veut lui signifier que les chants du Téhilim « Hodou Lachem Ki Tov » et « Ana Hachem Hochi’a Na » lui sont suffisants.
Telle a été la réponse de Rabbi Avraham IBN ‘Ezra à Rabbenou TAM. 

Mais constatons avec quelle humilité Rabbenou TAM lui répond:
« Avi ‘Ezri (allusion au nom de Rabbi Avraham IBN ‘EZRA), ses pensées – causées par l’intrusion de son ami entre ses ailes – lui répondent ! Je suis le serviteur acquis à Avraham (Rabbi Avraham IBN ‘EZRA), et je m’agenouille et me prosterne devant sa face. »
Ainsi Rabbenou TAM répondit avec une extraordinaire humilité, « Je suis le serviteur acquis à Avraham ». 

Ensuite, Rabbi Avraham IBN ‘EZRA lui répondit à son tour avec une grande humilité:
« Est-ce qu’il sied à un prince et un berger du peuple de D.ieu (il s’agit de Rabbenou TAM) d’abaisser sa tête dans une lettre adressée à un méprisable du peuple? Qu’à D.ieu ne plaise qu’un ange de D.ieu s’agenouille et se prosterne à Bil’am! »
Après les propos très humbles de Rabbenou TAM qui lui écrit: « je m’agenouille et me prosterne devant sa face. », Rabbi Avraham IBN ‘EZRA lui répond: « Qu’à D.ieu ne plaise qu’un ange de D.ieu s’agenouille et se prosterne à Bil’am! »
Quelle humilité! 

Les Séfaradim se sont particulièrement illustrés dans la sagesse du Piyout, alors que les Achkénazim ne s’y sont pas particulièrement adonnés.
Mais Rabbi Chim’on LAVI a eu le mérite que son Piyout en provenance de Tripoli en Lybie se propage dans toutes les communautés d’Israël, aussi bien chez les Séfaradim que chez les Achkénazim. 

Histoire sur Rabbi Chim’on Bar Yo’haï
Le Midrach Rabba sur Chir Ha-Chirim (chap.1, ainsi que dans Pésikta Dé-Rav Kahana chap.22) rapporte une histoire avec un homme qui habitait la ville de Tsidon, qui avait épousé une femme conformément à la Torah, et qui vivait avec elle depuis 10 ans sans avoir eu le mérite d’avoir des enfants.
Le couple alla trouver Rabbi Chim’on Bar Yo’haï et lui demanda de les divorcer avec un Guett conformément à la loi de la Torah dans un tel cas. 

Rabbi Chim’on Bar Yo’haï leur dit:
« Au même titre que vous avez célébré votre mariage avec un grand festin, ainsi vous ne pouvez pas vous séparer l’un de l’autre tant que vous ne faites pas un festin. Ensuite, nous organiserons la rédaction et la remise du Guett, et vous vous séparerez l’un de l’autre. »
Le couple accepta, et ils organisèrent le soir même un grand festin, comme au jour de leur mariage.
Lors du festin, le mari dit à sa femme: « Je t’autorise à prendre un objet de la maison en souvenir. Choisis l’objet que tu désires et prends-le avec toi chez ton père. » 

Pendant le festin, l’épouse fit boire son mari des boissons alcoolisées, jusqu’à ce qu’il s’enivre et s’endorme. Elle demanda ensuite aux domestiques de la maison:
« Portez-le dans la maison de mon père. » Les domestiques s’exécutèrent.
Au milieu de la nuit, le mari se réveilla après avoir cuvé son alcool, et il constata qu’il se trouvait dans une maison qui n’était pas la sienne. Il demanda immédiatement:
« Où suis-je?! »
Son épouse lui répondit: « Tu es dans la maison de mon père. »
Le mari demanda: « Pourquoi suis-je ici et non dans ma maison?! »
La femme répondit: « Ne m’as-tu pas dit de prendre de la maison la chose que je veux garder en souvenir?! C’est toi que j’ai choisis de prendre! »
Le mari se calma, et au matin, ils se rendirent tous les deux chez Rabbi Chim’on Bar Yo’haï, qui écouta l’histoire et pria pour eux. Ainsi la paix revint dans le couple, et 9 mois plus tard, ils eurent un garçon. 

Telle est la force de Rabbi Chim’on Bar Yo’haï, « Cet homme qui fait trembler la terre, chanceler les empires ».
Mais toute cette force ne lui provient que de l’étude de la Torah, à laquelle il s’est adonné avec une terrible assiduité, en s’isolant de toutes occupations de ce monde, il n’y a rien d’autres que les forces de la Torah! 

« La perte occasionnée par une Mitsva, vis-à-vis de la récompense qu’elle apporte »
Au début, il semblait que Rabbi Chim’on Bar Yo’haï perdait son monde, mais il resta fidèle à sa vérité, au point de fuir et de se cacher dans une grotte, où il étudia la Torah avec son fils Rabbi El’azar, jusqu’à ce que tout son corps fut rempli de plaies et de blessures en raison du sable dans lequel il s’enfonçait pendant qu’il étudiait (ils retiraient leur vêtements afin de ne pas les user, et ils s’enfonçaient dans le sable pour ne pas étudier la Torah en étant nus), alors que ses compagnons étaient restés en dehors de la grotte et continuaient leur vie normalement en étudiant aussi la Torah.
Mais c’est parce que Rabbi Chim’on Bar Yo’haï étudia la Torah avec une telle assiduité (et dans des conditions aussi difficiles) qu’il eut le mérite d’être un des plus grands Tanaïm (sages de la Michna), et le maître de tous les sages de la Kabbala.
Il eut aussi le mérite que tout ce qui sort de sa bouche est appliqué, il réalisa des miracles et de grandes merveilles. 

Il est enseigné dans les Pirké Avot:
Rabbi dit: « Quelle est la voie la plus droite que l’homme doit choisir? Celle qui apporte pleine satisfaction à l’homme qui s’y engage, ainsi qu’aux autres. Sois vigilent aussi bien vis-à-vis d’une Mitsva (qui peut paraître) simple, aussi bien vis-à-vis d’une Mitsva (qui peut paraître) importante, car tu ignores la récompense qui correspond à chaque Mitsva. Médite sur la perte que peut occasionner une Mitsva, par rapport à la récompense qu’elle apporte, ainsi que sur le profit que peut engendrer une transgression par rapport à la perte qu’elle engendrera. »
Parfois, un homme accomplit une Mitsva, et en conséquence, il engendre une perte. Par exemple, il va étudier la Torah durant 2 heures chaque jour, alors que s’il travaillait plus, il gagnerait plus d’argent, mais il étudie la Torah.
Ceci représente l’enseignement « Médite sur la perte que peut occasionner une Mitsva, par rapport à la récompense qu’elle apporte », l’homme médite sur lui-même, combien est grande la récompense sur l’étude de la Torah, et il recevra une récompense infiniment plus grande vis-à-vis de ce qu’il a « perdu », la sainte Torah « A sa droite la longévité de la vie, à sa gauche la richesse et les honneurs ». 

Notre maitre le Rav z.ts.l raconte un souvenir d’enfance:
« Un administrateur de la Yéchiva de Porat Yossef – Rabbi Rabbenou POLITI – me raconta que lorsqu’il vivait à Istanbul en Turquie, il possédait une fabrique de tissus, et il avait une grande réussite, au point d’être devenu très riche.
A proximité de son commerce, un non-juif ouvrit lui aussi une fabrique et un magasin de tissus et de vêtements, mais Rabbenou POLITI ne portait aucune attention à lui. 

Un jour, dans l’après-midi, un général de l’armée turque pénétra dans le commerce de Rabbenou POLITI.
Il lui dit: « Monsieur, j’ai sous mes ordres 50 000 soldats, et j’ai besoin de vêtements pour tous. Je désire vous les acheter, montrez-moi la marchandise et dites-moi votre prix pour les vêtements! » 

Rabbenou POLITI lui répondit: « Monsieur ! Excusez-moi car il est maintenant 17h et l’on m’attend à la synagogue, nous prions Min’ha. Faites-moi plaisir et attendez- moi juste 20 minutes, je prie et je reviens! »
Le général lui répondit: « Non monsieur! Je ne suis pas disposé! Je dois voyager en urgence, je n’ai pas le temps! »
Rabbenou POLITI lui répondit en s’excusant qu’il renonçait à l’affaire, car il était tenu de se rendre à la synagogue.
En sortant de son magasin, Rabbenou POLITI se dit: « Je suis maintenant heureux! Ma prière vaut 50 000 vêtements! » 

Le général entra dans le magasin du voisin non-juif, propriétaire du commerce concurrent, et lui acheta 50 000 vêtements pour les soldats! Quelle grande perte!

Moins de 3 mois plus tard, Rabbenou POLITI était assis dans son magasin, quand soudain, le général turc entra et lui dit:
« Regarde! Tous les vêtements que j’ai commandé à ton voisin, sont de très mauvaise qualité, le tissu se déchire facilement, et il s’agit de soldats ! Ils ont besoin d’uniformes solides! Même la couleur des tissus flétri rapidement au soleil.
Je désire donc commander de nouveau des vêtements mais uniquement de toi! »
Rabbenou POLITI lui montra le tissu, et il trouva tellement grâce aux yeux du général qu’il lui paya une somme infiniment supérieure au prix qu’il lui aurait payé la première fois, car à présent il s’agissait d’une véritable affaire puisque le général savait valoriser la marchandise du juif.

Ceci représente l’enseignement: « Médite sur la perte que peut occasionner une Mitsva, par rapport à la récompense qu’elle apporte ».
Ceci ne sont que les « fruits » de la récompense, consommés dans ce monde ci, mais le capital de la récompense est préservé dans le Monde Futur.  

Que le mérite de Rabbi Chim’on Bar Yo’haï nous protège,
« Sa Torah nous protège, elle éclaire nos yeux, il intercède favorablement pour nous, notre maître Bar Yo’haï. » (Extrait du Piyout Bar Yo’haï)

Source: halachayomit 
R.Abdellak Malkiel